Jour 82: une petite journée qui se transforme en grande journée
Je viens tout juste de me réveiller quand Hugo me lance un au revoir de l’extérieur de ma tente. Il est à peine 7h30 et il est déjà prêt à partir (ou, d’un autre point de vue, il est 7h30 et je suis encore dans mon lit/matelas). Nous ne sommes censés que faire environ 19 kilomètres aujourd’hui, alors je ne me presse pas trop. Je lui dit que je le rejoindrai vers la fin de la journée.
Vers 8h30, c’est à mon tour de décoller (ou de tenter de décoller, j’ai mal partout). Dès les premiers kilomètres, j’évolue dans une série de pierriers bien aiguisés. Wow, j’aurais dû me prendre un café de plus pour rester focus. Au lieu de cela, j’enchaîne les baillements qui sont devenus une spécialité au courant des dernières journées. La matinée va être rude: il faut enchaîner trois cols. Le premier, celui de la Valette, nous fait prendre presque 1000 mètres en 4 kilomètres. C’est énorme.
Heureusement, pour cette première montée, le soleil n’est pas encore très haut dans le ciel, et il ne fait donc pas encore trop chaud. De plus, l’ascension se fait sur un chemin très bien tracé et comportant beaucoup de virages, ce qui rend cette dernière beaucoup plus facile.
Sur mon chemin, je croise des enfants d’environ 6 ans qui effectuent leur première randonnée sur quelques jours. Ils sont impressionnants à voir aller, du haut de leur 1 mètre de hauteur !
Arrivée en haut du col, la vue est magnifique. La majorité des cimes des montagnes sont dépourvues de végétation, ce qui rend le paysage plus lunaire. Toute cette sueur en aura valu la peine. D’où je suis, je peux apercevoir le Col de Gouiran, la deuxième mission de la journée. Puisque je suis déjà à une bonne altitude, cette deuxième montée est beaucoup plus facile que la première et me prend moins d’une heure. La descente est une autre histoire. On dirait qu’on marche dans du sable noir glissant. Il faut faire extrêmement attention à ne pas y perdre le pied.
Après une bonne descente, j’aperçois dans ma ligne de mire, le Col de Vallonpierre, dernière grande montée de la journée. Ce dernier est beaucoup plus raide, et avec les gargouillements frénétiques de mon estomac, je décide que je le garderai pour après le lunch. Attention, c’est une double stratégie : j’aurai de l’énergie et mon sac sera plus léger.
Je viens tout juste de terminer mon lunch et m’apprête à partir, quand je retombe sur les deux québécois d’hier. Ils ne prennent pas le temps de se poser, et l’un d’eux file à toute allure vers le sommet. J’en fais la remarque au deuxième qui me fournit une explication à cette rapidité. Hier, ils ont manqué le service de charcuterie qui s’arrêtait à 14h00. Aujourd’hui, pas question de passer à côté. Vitesse s’impose. Je leur souhaite bonne chance dans leur quête de saucissons et je reprends mon chemin.
La montée est soutenue, mais rien de très difficile. Cependant, je ne m’y tenterais pas en cas de mauvais temps, le sentier exigant quelques fois des appuis avec les mains pour ne pas perdre l’équilibre. Je m’arrête à chaque minute pour prendre des clichés (ou peut-être que c’est mon excuse secrète pour reprendre mon souffle, une technique bien utilisée par de nombreux randonneurs).
Une courte descente abrupte (pour faire changement) m’amène vers le refuge de Vallonpierre ainsi que son lac alpin. J’y recroise les Québécois, attablés devant leur fameuse assiette de charcuterie; ils sont arrivés avant l’heure critique de fermeture. Toujours pas de traces d’Hugo. Il a dû s’arrêter quelques minutes ici avant de repartir plus loin. Nous avons convenu de nous retrouver au refuge du Clôt, donc je le rejoindrai en fin d’après-midi.
Deux expressos plus tard (un must), j’entame une longue descente vers le prochain refuge. En général, je préfère les montées, mais ça fait du bien de changer un peu. Dans la descente je rencontre un hollandais qui fait le Tour des Écrins ainsi qu’un père et une fille qui descendent au pas de course (oubliez-moi, aucune chance que je fasse une seule foulée de course à pied). Je leur parle un peu: ils se dirigent vers le même refuge que moi, afin de donner un coup de main à leur amie qui s’occupe du gîte pour l’été.
Lorsque mon réseau recommence à fonctionner, je reçois un message d’Hugo qui m’indique qu’il aimerait continuer à marcher 7 kilomètres de plus que notre objectif de la journée afin d’arriver en ville et de réduire la distance à effectuer pour demain. Grrrrrrr, j’aurais bien aimé une petite journée, je me sens super paresseuse aujourd’hui. Mais, il a raison. Demain, ce sont 26 kilomètres avec 2200+ et 2000- de dénivelé qui nous attendent. Vaut mieux en couper un peu.
J’arrive au Refuge des Clots, en maugréant, car les derniers kilomètres étaient dans le sable (allez marcher des kilomètres dans le sable pour voir,c’est loin d’être paradisiaque comme dans les films). Je recroise la petite famille avec laquelle j’ai discuté quelques heures auparavant, et le père m’offre gentillement un coca-cola. Parenthèse pour dire que lorsque j’étais enfant, ma mère m’a montré comment on pouvait enlever la rouille d’une pièce de monnaie en la trempant dans ce breuvage, et depuis, je n’ai jamais voulu en avaler une goutte. Sur l’HexaTrek, c’est la première fois, en 27 ans de vie, que je bois du Coca (en plus 2 fois, j’en ai pris un sur l’étape 4)!
Après un petit 30 minutes de pause, je repars en ressentant une lassitude de marcher que je n’ai pas eu depuis l’entièreté de mon aventure sur le sentier. Aujourd’hui, c’est la paresse. Quelques kilomètres plus loin, je remarque que le sentier passe à côté d’une route. Je décide de faire du stop pour les quelques kilomètres restants, je n’ai pas envie de m’écoeurer de la marche. Je suis prise rapidement par une femme qui a fait des grandes expéditions au Yukon, dans le Grand Nord et qui est en amour avec le Canada. Elle me parle de ses aventures de randonnées et de canoë camping dans une nature sauvage. C’est un grand plaisir de l’écouter. De son côté, elle est ravie de m’entendre parler d’une randonnée qu’elle ne connaissait pas encore.
J’arrive au village avant Hugo (hehe, merci l’auto) et je m’installe au camping. Le temps qu’il arrive, j’en profite pour aller faire quelques courses. J’achète de la crème glacée, des chips et des biscuits (on se fait plaisir en ville !).
Nous prenons un dîner ensemble et passons une soirée bien relax. Demain, ça monte !
Jour 83 : on monte, on monte et on monte !
Cet matin, après un petit ravitaillement, direction le Refuge des Souffles qui marquera notre première partie de la journée. Par la suite, une fois le premier col gravi, nous devrons en enchaîner un deuxième, ce qui cumulera une élévation totale de plus de 2000 mètres. Et ce, sans parler du même dénivelé négatif qui nous attend par la suite. Le tout sur un total de seulement 19 kilomètres. En d’autres mots: ça monte en s’il-vous-plaît (ou en tabarnak pour mes amis québécois).
Le premier panneau croisé de la journée témoigne de l’effort à venir. 5h45 pour faire 6 kilomètres… 1km/h. Ça va être chaud !
J’entame la montée avec un soleil qui me brûle déjà la peau (inquiète-toi pas maman, j’ai mis ma crème solaire 😉 ). Mon premier effort est soutenu par des bonbons à l’effigie du grand Schtroumpf (avec la chaleur, plutôt celle d’un fondant de Schtroumpf). Hugo et moi avions tellement d’appréhension sur la journée, qu’au final, la montée se révèle être moins ardue qu’estimée. Au terme de 3 heures d’ascension continue, j’atteins le Col de Colombes.
Avec cette montée , je réalise que mon tendon d’Achille est devenu très douloureux au toucher. Cela ne semble pas très grave, mais je décide de ralentir mon rythme pour la journée.
Après un autre kilomètre, j’arrive en bordure d’un petit lac alpin. J’entends un « Charloootttteeeee », et reconnaissant la voix d’Hugo, je le cherche aux alentours. Pendant un instant, j’ai l’impression que sa voix provient du haut de falaise (mais qu’est-ce qu’il fout à grimper des montagnes additionnelles avec déjà 2000 Up à faire???), mais je me rends compte que c’est l’écho qui me fausse la provenance. Je le vois finalement assis au bord du lac. Je le rejoins, on mange un morceau, puis je décide de faire ma première petite plonge alpine.
Nous reprenons le chemin vers le Refuge des Souffles en effectuant une sacrée descente.
On se permet une bonne pause au refuge, le temps de reprendre notre souffle (désolé pour le jeu de mots un peu trop évident ;)), puis repartons en fin d’après-midi vers le deuxième col.
Mon tendon étant assez douloureux, je poursuis ma technique du crabe (qui a autant de style que ma paire de crocs, à vous d’en juger). Heureusement, la montée se fait de façon beaucoup plus graduelle que la première. Pour ce deuxième col, Hugo et moi marchons ensemble d’un pas régulier.
Après un bon deux heures d’effort, nous voilà au sommet. Plus que de la descente pour aujourd’hui! Hugo descendant plus vite que moi, je le laisse passer devant, et j’en profite pour réaliser quelques clichés en essayant de capturer la raideur du sentier (mission échouée, je vous jure que c’était raide).
Vers 19h30, nous arrivons finalement au lieu de bivouac recommandé par l’application mobile. Nous pensions être dans les seules personnes présentes puisque nous n’avons pas croisé beaucoup d’Hexatrekeurs dans les jours précédents, mais apparemment, le coin est également connu par les randonneurs sur le Tour des Écrins… ainsi que les moutons qui ont élu ce lieu comme leur toilette sèche à aire ouverte. Le sol est couvert de petites boules séchées à l’odeur exquise (utilisation du sarcasme ici). Mais bon, la journée a déjà été assez longue, il fait presque noir et nous n’avons pas envie de redescendre un autre deux heures vers le prochain village. Nous trouvons un espace un peu moins dense en excréments et nous y posons nos tentes. Ça fera l’affaire. Nous assistons à un joli coucher de soleil, puis nous allons nous coucher.
Jour 84: tendons pas contents, petite déviation sur la route
Le lendemain matin, mon tendon d’Achille gauche me fait encore souffrir un peu. Puisque nous avons encore une journée avec deux cols totalisant un dénivelé de 2100 mètres, j’étudie un peu le parcours, histoire de voir si je pourrais contourner le premier col pour ne pas aggraver la douleur. Je remarque que c’est possible par le biais d’une route modérément plate (en tout cas, comparativement à la hauteur du premier sommet). Cependant, cela m’ajoutera un bon 7 kilomètres. Bon, ce sera une plus longue distance, c’est décidé. Je ne suis pas très excité à l’idée de marcher sur de la route asphaltée, mais que ne ferais-je pas pour mon cher tendon?
Après 5 kilomètres, je trouve déjà cela super ennuyant. J’aimerai bien lever mon pouce en l’air pour me faire prendre par une automobile, mais le seul problème c’est qu’elles passent toutes en sens inverse.
Après deux kilomètres supplémentaires, passe finalement un van qui s’arrête en m’apercevant. Une femme m’ouvre la porte et me demande où je vais. Elle s’avère être une nomade qui parcourt la France à son gré. Par pur hasard, l’endroit où je veux me rendre (Valsenestre) est un lieu qu’elle n’a pas visité depuis longtemps et qu’elle souhaite revoir. C’est donc par une belle générosité et une bonne dose de chance que Patricia m’emmène avec elle. Elle me parle de son choix de partir à la retraite plus tôt en raison des conditions de plus en plus difficiles de son métier d’enseignante en France. Préférant sauvegarder sa santé mentale et son amour pour les enfants, elle est partie et entreprend une retraite minimaliste dans son van.
On partage la route une bonne vingtaine de minutes, puis je reprends mon chemin à pied. Je m’installe pour un lunch et je regarde sur mon application mobile, l’ascension qui m’attend. En voici la description:
« On imagine une muraille infranchissable », ça promet ! Merci Hexatrek! Je m’élance vers le Col de la Muzelle, avec la musique à fond dans mes oreilles. La première partie se fait très facilement, même si la montée est assez soutenue. Plus je m’approche du col en question, moins je comprends comment je suis censée grimper là haut. Il faut que je m’avance jusqu’aux dernier kilomètre avant l’ascension finale pour apercevoir la multitude de lacets gravés dans le schiste noir.
Bon, quand il faut y aller, il faut y aller! Si un spectateur objectif avait été témoin de ma montré, il l’aurait probablement nommée : la danse contemporaine du crabe malmené (ou autre chose du genre). Afin de ménager mon tendon d’Achille, je marche de côté, mais pour ne pas trop malmener mes chevilles, je change de pied dominant à chaque lacet en effectuant un 180 degré de rotation. L’élégance même. À ce moment, il n’y a que mon petit écriteau HexaTrek accroché à mon sac-à-dos qui témoigne de l’envergure de ma (dé)marche. Mon style est lent, mais efficace, et je finis par atteindre le col. Malgré les grandes bourrasques de vent (avec le poids de mon sac, je ne risque pas de m’envoler), le vue est dégagée et offre un panorama), le vue s’ouvre sur le magnifique lac de la Muzelle. qui sera notre lieu de bivouac ce soir.
Une agréable descente progressive (pour une fois) me mène à une heure pas trop tardive (décidément aujourd’hui, c’est une journée de pour une fois) au refuge de la Muzelle. J’y rejoins quelques marcheurs du Tour des Écrins que je côtoie depuis quelques jours et nous commandons bières et desserts. Hugo nous rejoint environ 1 heure après et je le nargue un peu d’être arrivée avant lui (évidemment, je n’ai aucun mérite, je n’ai pas marché le premier col, mais c’est pour la plaisanterie). On passe une belle soirée en petit groupe de six, puis nous allons poser la tente dans la zone de bivouac qui s’est transformée en village de toiles (on doit être au moins 40).
S’ensuit une nuit où je ne trouve pas sommeil en raison des grandes bourrasques continues qui ne cessent d’agiter ma tente dans tous les sens. Bon, ce sera une courte nuit ! Demain, dernière journée d’effort avant une journée de repos bien méritée !