Jour 85: au revoir les écrins
La nuit a été très courte en raison de fortes bourrasques de vents qui n’ont cessé de compresser la tente. J’ai les yeux boursouflés de fatigue, mais puisque demain sera un jour de repos, je ne m’en fais pas trop, d’autant plus que la journée ne comporte qu’un petit dénivelé positif et majoritairement de la descente.
Aujourd’hui, nous voulons nous rendre jusqu’au Deux-alpes, une station de ski où nous souhaitons passer la nuit, se ravitailler et refaire notre approvisionnement en bonbonne de gaz (histoire de manger chaud).
Je pars aux alentours de 8h30 et gravis le col sans trop de difficulté. Je regarde en riant les trois randonneurs avec qui nous avons passé la soirée hier, se livrer à une compétition de qui atteindra le sommet en premier. À les voir courir de la sorte, je ressens presque de la douleur physique pour eux. Pour eux, cette journée se trouve à être la dernière de leur tour, donc ils peuvent se permettre des petites dépenses d’énergie supplémentaires.
La vue sur le col est tout simplement magnifique. La France recèle d’une énorme variété de paysages depuis le début de mon aventure et je suis tellement reconnaissante de pouvoir admirer tant de différents pans de la nature.
Suite au Col du Vallon, s’en suit la descente vers le Lac du Lauvitel, le plus grand lac des Écrins! Même de loin, on peut y distinguer nettement sa couleur émeraude des paysages avoisinants. La brume présente dans les montagnes accentue l’effet mythique de ces lieux.
Aux abords du lac, je rejoins Hugo et mes compagnons que j’ai côtoyé lors des trois derniers jours. Nous faisons un pique-nique ensemble et profitons d’une bonne baignade dans une eau quasi transparente. Il fait si bon ici! On aimerait y rester toute la journée, mais il faut quand même avancer, la téléportation n’ayant pas encore été inventée.
On continue pendant quelques kilomètres avec nos nouveaux amis, puis nos chemins finissent par bifurquer, ces derniers devant rejoindre Bourg d’Oisans, et nous les Deux-alpes.
Hugo et moi reprenons donc le chemin en évitant certains sentiers réduits en miettes par les éboulements de terrain des mois derniers. Nous sommes très emballés à l’idée d’arriver aux Deux-alpes, car il y a une auberge de jeunesse où nous pourrons avoir un lit bien au sec.
Malheureusement, en arrivant à la station de ski, nous réalisons que l’auberge en question est définitivement fermée… Et en plus, impossible de trouver une bonbonne de gaz dans les magasins de plein air ! Et ce n’est pas faute d’essayer, on tente le coup dans environ 10 magasins différents! Ils sont soit en rupture, soit ils n’ont pas ce genre de fourniture. Arggggg. Manger froid, c’est beaucoup moins plaisant (Hugo pourra vous le confirmer, il a tenté l’expérience pendant plus d’un mois). Hugo et moi sommes un peu exaspérés, car nous souhaitons simplement trouver un endroit où se poser pour notre journée de repos. Nous décidons finalement de redescendre à Vesnoc et d’y emporter des provisions pour le lendemain. Par chance, un téléphérique gratuit relie les Deux-alpes et le village où l’on doit aller. Nous rallions donc le camping (avec beaucoup trop de nourriture comme d’habitude) et nous profitons enfin d’un repos bien mérité.
Jour 86: la journée de repos, on en avait besoin!
Ayant déjà notre nourriture achetée pour la journée, la plus longue distance que j’effectue aujourd’hui doit être celle me séparant de la douche et des toilettes (j’ai dû marcher un bon 50 mètres aujourd’hui, quelle journée!). De toute façon, nous n’avons pas l’énergie pour en faire plus (à titre de preuve, je vous prie d’observer la photo ci-dessous ;).
Je profite de cette journée afin d’organiser la prochaine partie du sentier, le plateau d’Emparis ainsi que Belledonne. On nous a averti, Belledonne ce n’est pas une partie facile, il faut s’en méfier. Le sentier est parsemé de pierriers, de montées raides et de descentes rocambolesques. Des conditions météorologiques capricieuses pourraient compliquer énormément notre tâche. Il faudrait donc être particulièrement prudent.
Le restant de la journée se déroule tout doucement, j’en profite pour écrire et lire, me masser, faire la sieste et écouter quelques séries sur Netflix. Je profite également d’être proche d’une ville pour me délester d’un peu de poids de mon sac-à-dos. Avec un poids de base d’environ 10 kilogrammes, tout se déroulait bien dans la quasi-totalité du sentier, mais la rudesse des Écrins m’a convaincu de tenter de l’optimiser à nouveau. Avec un petit pincement au cœur, j’enlève mes crocs (je les aimes là !) et quelques morceaux de vêtements. Au total, ce sont 1.5kg que je retire, ce qui semble minime, mais je peux sentir nettement la différence.
Jour 87: en direction du plateau d’Emparis
Le lendemain matin, nous ne partons pas trop tôt puisque nous devons attendre l’ouverture des magasins afin de nous ravitailler pour les journées à venir. Je poste mon colis de matériel retiré hier de mon sac-à-dos ( au revoir à 21 euros de frais postaux), puis j’achète des vivres. Puisque nos réserves de gaz tirent vers le bas, nous achetons en majorité des aliments qui se consomment froids (je suis très sarcarstiquement enjouée par cette perspective).
Nous débutons à marcher vers 10h00, en ayant le Plateau d’Emparis en ligne de mire pour bivouaquer ce soir. La première partie de la journée nous mène au Lac Chambon, puis nous montons en direction du Refuge des clos.
Le propriétaire du refuge nous accueille chaleureusement et vient discuter avec nous de l’Hexatrek. Il part un instant dans le gîte, et revient avec deux portions gratuites d’un incroyable fondant au chocolat ! C’est délicieux.
Après une bonne heure passée au refuge, nous reprenons la route en direction de la Fontaine Pétrifiante, une magnifique cascade aérienne dont les couleurs sont éblouissantes. Quand on parle des vues, il faut les mériter on dirait! Le sentier est tellement raide à cet endroit qu’il est impossible de marcher droit! Il faut se placer de côté et monter un pas à la fois pour ne pas y perdre le pied.
Après une bonne heure d’ascension, nous parvenons au Chalet du Fay, qui se situe à environ 1 kilomètre de l’entrée du Plateau d’Emparis. En regardant à nouveau la météo, je vois qu’une possibilité d’orages à 20h est apparue dans la région. Il n’y a qu’un seul site météorologique qui a une telle prévision, contrairement à tous les autres qui annoncent quelques nuages et du beau temps.
J’en fait part à Hugo qui ne s’en fait pas trop. On décide de prendre quelques heures de repos au refuge. J’ai encore des doutes sur ce que je vais faire, à savoir planter ma tente à côté du refuge où cas où l’orage arriverait, ou prendre la chance d’aller bivouaquer au plateau.
Après la pause, nous vérifions à nouveau l’ensemble des sites météorologiques. Tout est nickel (j’adopte des expressions françaises, ça fait quand même 3 mois que je suis ici), plus aucune pluie ou orages prévus pour la nuit. Pourtant, quelque chose m’empêche de partir immédiatement. Hugo reprend le sentier vers 17h30, et je décide de manger au refuge, puis de continuer par la suite, si mon mauvais feeling s’atténue. Durant les deux heures suivantes, je mange, j’observe les nuages, les sites météos, demande l’avis des randonneurs. Après réflexion, je décide de partir rejoindre Hugo, qui entre temps m’a envoyé de magnifiques photos de son spot de bivouac. Je quitte donc mon abri vers 19h30. Cela ne fait même pas 500 mètres que je parcours quand, j’entend le tonnerre gronder au loin. Bon maintenant ça suffit, je reviens au refuge. Orage ou pas annoncé sur les sites, j’en vois un se profiler à une vingtaine de kilomètres d’où je suis.
Je reviens vers le refuge et je redis bonjour aux randonneurs avec qui j’ai échangé auparavant. Ils se moquent gentiment de moi parce que j’ai changé d’idées environ 3 fois avant de décider d’aller bivouaquer sur le plateau, et au final, me voilà de retour. La propriétaire me permet de poser ma tente aux alentours du chalet, ce que je fais immédiatement. C’est vraiment difficile pour moi de ne pas être allée rejoindre Hugo car j’ai l’impression que ma peur a gagné par-dessus tout le reste. Pour la première fois, je craque et je me mets à pleurer. C’est vraiment difficile de gérer une phobie par moment!
Cela ne fait que quelques minutes que j’ai posé ma tente, quand l’orage éclate et la pluie commence. Bon, les prévisions météo c’est raté! Finalement, mon instinct aura eu raison cette fois!
Je rentre dans le refuge le temps que l’orage passe. La propriétaire me voit en larmes, et par un acte de grande générosité me dit qu’elle m’offre un lit pour la nuit. Elle me dit que ce sera sa bonne action de l’été. Je lui en suis tellement reconnaissante. J’écris à Hugo pour lui demander si l’orage n’est pas trop violent, et il me fait part qu’il est correct. Plus de pluie que d’éclairs ! Rassurée pour lui, et exténuée, je me glisse dans un bon lit chaud. Merci tellement Chalet du Fay ❤️.
Jour 88: aller-retour éprouvant
Après une bonne nuit de sommeil au refuge, je me réveille vers 6h00, et je me glisse discrètement hors de mon lit afin de ne pas réveiller le restant du dortoir qui dort encore à poings fermés. Je dois partir tôt, car j’ai une énorme journée devant moi. Tout d’abord, je dois rattraper Hugo qui a bivouaqué environ cinq kilomètres plus loin que moi sur le Plateau d’Emparis. Puis, nous comptons nous rendre jusqu’au refuge de l’Étandard, ce qui ferait une journée d’environ 33 kilomètres pour moi avec un grand dénivelé.
Nous sommes en août, mais déjà, on peut remarquer que les journées se racoursissent. Alors qu’en juin, il fallait se lever vers 5h30 afin d’apercevoir le soleil pointer le bout de son nez, il fait maintenant noir jusqu’à presque 7h00. Nouvelle excuse pour ne pas avoir à mettre l’alarme trop tôt !
Vers 6h50, je débute ma journée en direction du Plateau d’Emparis. Je laisse une petite note de remerciement à la propriétaire du Chalet du Fay puisqu’elle dort encore à cette heure. Après environ 2 kilomètres, j’entre sur le fameux plateau qui est magnifique.
Je rejoins rapidement Hugo qui regarde le soleil se lever du haut d’un rocher. Hugo me dit qu’il a un très bon feeling pour la journée d’aujourd’hui. En effet, le soleil est au rendez-vous, les paysages sont déjà éblouissants et on se sent très bien physiquement.
Dans la descente, nous parlons avec deux sympathiques randonneurs, Magalie et Nicolas. Nous parlons de l’Hexatrek et de nos vies respectives en dehors du sentier. Lorsque je leur parle de l’impossibilité de trouver du gaz dans les environs, ils me disent qu’ils ont eu une bonbonne supplémentaire à nous donner ! Wow! Quel coup de chance! Grâce à eux, nous pourrons manger chaud pour les jours à venir. Ça commence très bien la journée! Nous marchons tous ensemble jusqu’au Camping le Gay, une petite aire de bivouac mise à disposition des randonneurs pour la modique somme de 5 euros par nuit, puis nous leur disons au revoir puisque leur chemin de termine ici. Ce soir, ils camperont sur l’aire, puis rentrerons chez eux dans les journées à venir.
Cependant, notre journée à nous est loin d’être terminée. 23 kilomètres et 1600 mètres de dénivelé positif nous séparent encore du refuge de l’Étandard; il ne faut pas trop tarder. Nous reprenons notre chemin qui après une bonne montée nous amène dans le Vallon de la Valette une vallée entourée de falaises scintillantes.
Nous avançons à un bon rythme et nous sommes confiants d’arriver relativement tôt (par ici, je veux dire, avant la tombée de la nuit) au refuge. Nous prenons une petite pause lunch vers 13h00 dans la vallée, puis nous repartons pour attaquer la dernière longue montée qui nous mènera au glacier de Saint-Sorlin.
À la moitié de la montée, alors que notre journée allait si bien, commence une série d’événements chaotiques qui transforment notre journée en l’une des pires de notre périple dans son entièreté. Laissez-moi vous raconter.
- Élément chaotique 1: passé la cime de la Valette, il s’avère que le chemin… n’existe plus. L’application mobile de l’Hexatrek a décidé de nous emmener dans un trip de backcountry non prévu. Plus de balisage, plus de traces, nada. Ça nous prend quelques minutes pour nous rendre compte que nous ne sommes plus sur le chemin. Quand j’en fait part à Hugo, on est tout les deux surpris, car on a dévié de plusieurs centaines de mètres sans s’en rendre compte.
- Élément chaotique 2: évidemment, le ciel ne pouvait pas rester tranquille UN après-midi, et il décide de se mêler de la partie, en nous envoyant des magnifiques cumulonimbus d’un beau gris très foncé. Euh le ciel, t’as pas lu le bulletin météorologique?? Tu étais censé rester clair toute la journée, tu ne voulais pas te caler sur le programme annoncé?
- Élément chaotique 3: ciel gris foncé + gros nuages = une Charlotte qui stresse très vite (nouvelle formule mathématique a intégrer dans vos classes dès la rentrée). Mode panique activée.
On a donc un bon cocktail de trois éléments un peu explosif. Hugo voit la terreur dans mes yeux, lui non plus n’est pas trop chaud à l’idée de continuer vers le glacier (qui est sous les gros nuages évidemment) en étant en plus dans un sentier non balisé.
Je me rappelle avoir vu une cabane de berger à quelques centaines de mètres d’où nous sommes présentement. Je propose à Hugo de se diriger vers elle afin de trouver un abri. En se dirigeant vers cette dernière, nous constatons avec horreur que gisent sur le sol des dizaines de brebis dépecées. Il ne reste que quelques lambeaux de chair que les vautours qui volent par dizaines au-dessus de nos têtes n’ont pas encore saisis. Très très glauque.
On continue notre chemin en se demandant ce qui a bien pu arriver. Lorsqu’on est finalement à quelques mètres de la cabane on réalise l’ampleur des dégâts. Des dizaines de bouteilles d’alcool consommées gisent sur le sol tout autour du refuge. Une hache repose devant l’entrée. Super rassurant! En jetant un coup d’œil à l’intérieur, je remarque que pleins d’emballages ou restants de nourriture jonchent le sol. Au loin, nous voyons le berger qui revient avec son troupeau en direction de l’abri. La conclusion est rapide : pas question de rester ici et de faire connaissance avec ce berger qui ne donne pas une très bonne première impression avec l’état de sa cabane.
Les nuages sont encore noirs, pas question de se risquer sur le sentier officiel (je dis officiel, mais c’est également un sentier imaginaire tracé d’un coup de crayon sur une carte virtuelle). On prend alors une décision légèrement (bon plutôt assez) stupide: celle d’inventer notre propre chemin pour regagner une village à contre-bas. On se dit qu’en coupant un peu, on évitera l’orage potentiel, et qu’on pourra continuer à avancer de manière satisfaisante.
On descend de façon très très prononcée en backcountry dans de hautes herbes et dans des roches très raides. Après avoir perdu un bon 300 mètres de dénivelé négatif, on se rend compte qu’on ne peut pas aller plus loin. Devant nous, ce ne sont que des falaises. Bon, voilà pourquoi Google Map ne proposait pas de sentiers par ici.
Pas le choix de faire demi-tour et de ravaler les 300 mètres de hauteur qu’on vient de perdre. C’est exténuant. On a assez de lucidité pour remonter doucement afin d’éviter de trébucher. Après un bon vingt minutes d’efforts, on regagne notre point de départ. Je regarde Hugo et je lui dis: » je pense que le plus sécuritaire, vu le temps, vue la cabane du berger, c’est de faire demi-tour. J’ai trop peur de monter au glacier avec ces nuages, et je ne veux pas mettre ma sécurité en jeu ». C’est à contrecœur qu’on décide donc de reprendre le chemin en sens inverse et de revenir sur nos pas. Il faut dire qu’on a mis des heures à monter et que le fruit de nos efforts des dernières heures va s’éclipser en un instant.
Après 1 heure de descente, on atteint un petit refuge que nous n’avions pas remarqué au départ. Il est déjà 18h30. Nous sommes encore à 9 kilomètres de l’aire de bivouac où nous avons laissé nos amis ce matin. La petite cabane est mignonne, mais glauque en même temps (je vous l’accorde, c’est une drôle de description). Elle se trouve à seulement 2 kilomètres du berger et de ses moutons décapités. Les deux, nous ne sommes pas très à l’aise à l’idée de rester ici pour la nuit, on risque de très mal dormir.
Après avoir soupé dans la cabane (très important, on aura bien besoin d’énergie), c’est à la frontale que nous continuons notre chemin. Heureusement, cette partie du sentier est très facile et non technique. Il reste tout de même 9 kilomètres. Mais bon, on est capable! On arrive finalement vers 22h00, complètement épuisés, à l’aire de bivouac. Je n’en peux plus, je marche depuis 6h00 ce matin (faites les maths, j’ai marché sur le sentier pendant 15 heures aujourd’hui).
On monte nos tentes proches de Magalie et Nicolas qui dorment au même endroit. Ils seront bien surpris de nous trouver là demain matin!
Mais quelle journée, vraiment. Heureusement, demain ne pourra qu’être mieux. Vers 23h00, je me glisse finalement dans mon duvet, et je sombre dans un sommeil bien mérité !