Jour 119: dans la neige !
Après une bonne nuit de sommeil, nous jetons un coup d’œil à l’extérieur. La neige a laissé un petit tapis blanc sur l’herbe mouillée. Le sentier a pris des airs de Noël, sans laisser place à l’été indien qui semble avoir décidé de nous bouder cette année.

Quelques instants après avoir commencé à marcher, les mêmes grognements q’hier résonnent dans la forêt. Merde, on dirait qu’on est bel et bien sur le territoire d’un ours. On recommence à entre choquer nos bâtons afin de signaler notre présence, mais soudain, Alex réalise que ce ne sont pas des grondements d’ours. Ce sont des brames de cerfs!
Pour ceux qui ne savent pas de quoi je parle, au début de chaque automne, les cerfs se rejoignent dans les grandes forêts de France, afin de s’accoupler. En d’autres termes, c’est la saison des amours. Afin d’attirer les femelles et d’éloigner leurs potentiels adversaires , les mâles « hurlent » et leurs cris résonnent dans toute la forêt. Voilà nos grognements imaginaires d’ours. Souci réglé, on peut repartir en paix.
Après avoir dépassé un petit village fantôme du nom de Noarre, nous reprenons le sentier en direction de l’Estany de Gallina, un lac alpin espagnol. Parce que oui, nous sommes rendus en Espagne ! Dans ma tête, on dirait que j’ai toujours associé ce pays au grand soleil et à la chaleur. Disons que ça contraste un peu avec la neige qui tombe sans arrêt.
Après une bonne montée, nous arrivons au refuge Mont-Roig qui me fait penser à un refuge pour un mission d’astronomes. Le refuge est en hauteur afin de protéger les personnes qui s’y habriteraient en cas d’avalanche. Assez transis par le froid, nous décidons d’y prendre notre déjeuner. Le refuge peut accueillir jusqu’à 12 personnes et est équipé de douze matelas et couverture. Pour un refuge gratuit et non gardé, c’est assez génial!


On repart peu de temps après, évoluant dans des paysages d’allure féerique. On passe devant l’Estany de Gallina qui restera pour moi l’un des plus beaux endroits de ma traversée de France. Je ne sais pas si c’est la neige qui ajoute de la magie au paysage, mais je suis complètement éblouie par ce qui s’offre à mes yeux. Alex me dit que pour le moment, cette journée est sa plus belle sur le sentier.


Nous attaquons par la suite le Col de Calberante, qui nous permet d’avoir une vue panoramique sur les lacs avoisinants. Avec le vent et la neige, nous ne restons pas très longtemps au sommet, et nous entamons une longue descente vers le refuge gardé d’Alos d’Isil.

Alors que j’avais imaginé les Pyrénées comme un endroit désertique et rocheux, je m’étonne de la diversité des paysages. Tantôt nous évoluons sur des pierriers, tantôt nous marchons dans une vallée verdoyante en compagnie de chevaux sauvages, tantôt nous contournons un lac d’une bleuté pure. Les décors changent constamment et nous surprennent à chaque tournant.

Après une longue journée soutenue, nous arrivons finalement au refuge. Nous sommes les seuls randonneurs présents ce qui nous donne un dortoir de 20 lits pour nous deux seulement. Ça va, quoi!
Depuis quelques jours, j’étais en contact avec le propriétaire du refuge afin de m’assurer que ce dernier serait ouvert lors de notre passage et afin de vérifier si un ravitaillement était possible. Le gérant m’avait mentionné que nous pourrions acheter du fromage, du saucisson et plusieurs autres items. Cependant, sur place, il ne reste plus qu’une boîte de semoule déjà entamée (non merci), des petits pains commerciaux et des barres tendres à faible apport calorique qu’il vend à 1 euro l’unité (en magasin on peut en acheter 10 pour le même prix). C’est un peu décevant car nous avions calculé nos réserves de nourriture selon ce ravitaillement. Mais bon, il faudra faire avec!
Nous prenons donc un souper et un petit déjeuner afin de ne pas utiliser le peu de rations qu’il nous reste. Nous mangeons un drôle de repas constitué d’une gaspacho (probablement tout droit sortie d’une canne), d’un étrange mélange de différents assortiments de viande (je préfère ne pas savoir d’où proviennent les morceaux de gras qui flottent dans mon assiette) et de pêches en canne. 18 euros pour le tout. Ouf. Je me demande à quoi ressemblera le petit déjeuner demain! Sur ce, bonne nuit!

Jour 120 : 2400 de dénivelé positif
Le lendemain commence avec le meilleur petit déjeuner de ma vie (sarcasme, encore une fois). Pour dix euros, nous avons le droit à un café filtre, deux morceaux de pain et du beurre. Ah oui, et un petit biscuit! Allez!
Nous repartons assez rapidement dans le sentier, en ayant 20 kilomètres comme objectif. Cela semble peu, mais le principal défi est le 2000 mètres de dénivelé positif qui s’accompagne avec la distance. Comme à chaque sortie de village où de ville, le sentier reprend avec un grande montée, afin de retourner dans les plus hautes montagnes. C’est donc sous un beau soleil que nous avalons (vu la grosseur du petit déjeuner, il faut bien avaler quelque chose) les premiers kilomètres.
Tout juste avant de retourner dans un sentier plus pédestre, nous marchons sur une route principale. Nous entendons soudain des aboiements de chiens. Nous ne tardons pas à en identifier la source, trois énormes patous courent vers nous d’un air menaçant. Tel qu’appris par la garde du Parc des Écrins, nous ne bougeons pas et nous attendons qu’ils viennent vers nous. Bien que ce soit contre-intuitif de rester immobile, c’est le comportement à adopter, car l’opposé inciterait les chiens à devenir défensifs, et potentiellement attaquer.
Ils arrivent en courant, mais rapidement, après nous avoir reniflé (et réalisés que nous ne sommes pas des loups), ils redeviennent passifs… Et même très affectueux. L’un d’eux demande à se faire caresser, et dès que j’arrête, me regarde d’un air suppliant. C’est sans fin. Après un bon vingt minutes, on reprend notre chemin, après avoir dit au revoir à mon nouvel ami.


Vers midi, nous arrivons à un magnifique premier refuge non gardé, le Refuge Gracia-Airoto. Sur place, il y a déjà 6 espagnols qui ont élu l’endroit comme domicile la nuit dernière. Après leur déjeuner, ils repartent avec leur sac-à-dos, mais en laissant une personne derrière On ne comprend pas trop jusqu’à ce qu’on entende un hélicoptère de secours arriver. Nous allons discuter avec la jeune randonneuse qui nous révèle s’être blessée au genou. Bien que ce ne soit pas sévère, elle n’est pas en mesure de retourner dans une ville de ses propres moyens. Une équipe de cinq secouristes vient la chercher. Voir l’hélicoptère atterrir et repartir en plein milieu de ce champ de blé est assez impressionnant. Lorsque ce dernier décolle, nous prenons nos distances car sa puissance de souffle est forte.



Suite à notre pause lunch, nous repartons dans le sentier qui n’en ait plus vraiment un. Nous sommes dans un passage prénommé, Airoto, le sentier invisible. Il n’y a plus aucun marquage, et l’on doit se fier 100% au tracé sur notre téléphone. Heureusement, le sentier n’est pas trop technique, hormis un long passage sur des pierriers.

Nous dépassons le petit lac alpin de Muntanyó, puis nous commençons l’ascension du Col de l’Estany. La montée vers ce dernier est courte mais extrêmement raide. Il n’est pas possible de marcher de front, il faut monter de côté. La journée est déjà bien avancée, et nous avançons un peu lentement que prévu en raison de la technicité de plusieurs passages. Après avoir redescendu le col, nous enchaînons plusieurs lacs alpins.

Dans le secteur des lacs, notre vitesse ne doit pas dépasser les 2 kilomètres à l’heure. Le sentier n’est plus un peu sentier roulant, il s’agit simplement d’un enchaînement de gros pierriers parmi lesquels il faut se frayer un chemin sans se tordre les chevilles. C’est épuisant car cela requiert une vigilance constante.

Même si la journée est assez avancée, on s’accorde une pause plus que méritée sur une petite plage au pied d’un lac. Nous sommes seuls au monde et nous pouvons embrasser du regard le décors qui se déploie devant nos yeux. On prend une grande collation et l’on tente de reprendre nos forces.
Peu de temps après être reparti, on se bute encore à une ascension dans des pierriers sans balisage. Franchement, je suis heureuse de ne pas être seule sur ce terrain accidenté. Je pense que de me sentir seule et isolée aurait apporté beaucoup de stress, alors qu’avec Alex, on peut compter l’un sur l’autre en cas d’incidents et profiter de cette traversée au maximum.

Vers 18h00, on franchit finalement une route très empruntée qui marque l’entrée du Parc national de Aiguestortes. Dans ce territoire, le bivouac est strictement interdit ce qui fait en sorte que nous devrons planifier nos journées de sorte à dormir de refuge en refuge. Il est déjà tard, on a mal partout, mais nous n’avons fait que 19 kilomètres. Il faut avancer. Comme il y a des ours bruns dans ce parc, nous voulons arriver avant la noirceur. Il reste toutefois 6 kilomètres avec plus de 800 mètres de dénivelé. Il faudra avancer avec un rythme soutenu, le soleil se couchant vers 20h00. Allez, défi accepté. La musique à fond la caisse, on part pour notre dernier effort de la journée.
Le changement de décors est drastique, mais magnifique. Malheureusement, on ne peut pas se permettre trop de pause pour prendre des photos , car la noirceur arrive rapidement.

Après 2h30 de sueur, nous arrivons au début de la tombée de la nuit au refuge, complètement épuisés. On vient de faire plus de 2400 mètres de dénivelé positif sur 25 kilomètres, un record de montée en une journée pour tous les deux! On se fait une accolade en se félicitant. Oh que le repas sera bon ce soir! Dans le refuge, on rencontre Dani, un autre randonneur qui prévoit de faire l’ascension des pics de Saboredo et de Gerber, demain matin. On discute un peu, mais vue l’heure avancée, nous ne tardons pas à aller dormir. Nous programmons notre alarme de bonne heure demain matin, afin de pouvoir contempler le lever de soleil sur les montagnes.

Jour 121: une cheville foulée
Le lendemain matin, nous repartons avec notre nouveau compagnon vers le col de l’Estany Gelat. Ça paraît que la journée d’hier a été chargée, nous avons de la difficulté à trouver un bonne cadence qui ne nous fasse pas trop souffrir. Heureusement que les paysages se montrent à la hauteur de la splendeur des Pyrénées. Du haut du col, nous profitons d’une vue de 360 degrés sur toute la chaîne pyrénéenne. Cependant, nous ne tardons pas à partir puisque nous avons encore un programme chargé aujourd’hui: nous voulons nous rendre jusqu’au refuge Ventosa I Calvell, situé 21 kilomètres. Cette distance peut paraître desiroire comparativement aux distances que nous avons déjà effectuées, mais elle comprend une traversée de plusieurs kilomètres sur des pierriers. Nos amis qui sont déjà passés par là quelques jours plus tôt, ont pris 5 heures, seulement pour traverser cet enchaînement de pierriers. Il va falloir se dépêcher. C’est ça ou seulement faire une journée de 12 kilomètres qui mènerait au refuge d’Estany Long. On aurait aimé pouvoir faire un entre deux, mais puisque le bivouac est strictement interdit dans le secteur, nous n’avons que ces deux options .

Suite à cette montée, nous disons au revoir à Dani, qui continuera à gravir d’autres sommets dans les environs. Pour notre part, il est maintenant temps de redescendre vers le Refuge de l’Amitges. Après 5 minutes de descente, je suis déjà en rage contre le sentier qui est seulement composé d’un enchaînement sans fin de gros rochers. Escalader dans des pierriers ça va. Mais les descendre, je déteste. Déjà que je suis lente dans une descente ordinaire, alors sur des pierriers c’est l’enfer. Et je suis en compagnie de monsieur l’acrobate, j’ai nommé Alex, qui va tellement vite dans ce genre de terrain, que j’ai l’impression qu’il flotte au-dessus des roches.
Au final, après plusieurs jurons bien placés, on arrive au refuge de l’Amtiges à 12h00… On vient de prendre 4 heures pour faire 5 kilomètres. Oupsi. Je pense qu’il faudra changer les plans, impossible qu’on arrive avant la tombée de la nuit au deuxième refuge. Ce sera un petit douze kilomètres alors ! C’est la vie!


Avec ce nouveau plan, cela nous donne l’opportunité de prendre tout notre temps et de profiter des environs. En effet, il ne reste plus que 7 kilomètres à faire. On commande un sandwich au refuge de l’Amtiges. Pour 6 euros, on a le droit à une baguette gargantuesque remplie de tomates et de calabrese. Wow, on en avait besoin! Ces derniers jours de rationnement m’ont bien affamés. Après un bon gros repas, on repart tranquillement.
Il ne reste plus qu’une petite montée pour la journée, mais je me sens paresseuse et exténuée: un mauvais combo disons… Afin de remédier à la situation, je mets mes deux écouteurs et j’écoute ma playlist que j’écoutais lorsque je faisais de la compétition de natation. Ok ça fonctionne, je sens la motivation revenir. Alex fait de même, et me suit dans la montée, un autre rythme jouant dans ses oreilles.
Arrivée au sommet, il y a un orchestre de musique qui m’accompagne, je chante à tue-tête, je danse, la bonne humeur est revenue. J’entame la descente vers le refuge d’Estany Long, avec Alex qui ne me suis pas très loin derrière.

Absordée par mes « performances » musicales, je n’entends pas Alex qui hurle mon nom. Il me faut un bon quinze minutes pour réaliser que l’écart entre nous deux s’est considérablement élargi. Je reviens sur mes pas, et Alex me dit qu’il vient de se tordre violemment la cheville. Merde, merde, merde. Heureusement, il reste moins de deux kilomètres avant d’arriver au refuge. Alex ravale la douleur et se remet en marche. On évaluera la situation une fois là-bas.

Une fois arrivée, le gérant du refuge nous donne gentiment de la glace, une autre randonneuse un puissant anti-inflammatoire et un homme donne une crème topique. Je suis toujours touchée par l’incroyable camaraderie et les petits actes de bonté entre les différents randonneurs. La cheville d’Alex n’enfle pas, ce qui est un bon signe, mais il me dit que la douleur est pire que lorsqu’il s’est cassé le pied. Il me dit qu’il pense que c’en ait terminé pour son aventure. Ça me fait énormément de peine pour lui, car il a travaillé fort pendant 2 mois pour revenir marcher tout le mois d’octobre. Et il doit déjà repartir après aussi peu que 7 jours. Je suis vraiment triste à l’idée de perdre mon ami pour le restant des Pyrénées. On essaye toutefois de rester optimistes, et on espère que demain, un petit miracle opérera.

Jour 122 à 124: aller se reposer à Viehla
Malheureusement, le lendemain matin, la situation s’est empirée et la douleur est plus intense que la veille. Impossible de continuer dans le sentier régulier, qui a la particularité d’être un enchaînement de pierriers vertigineux pour une dizaine de kilomètres d’affilée. Disons que ce n’est pas le bon terrain de jeu pour une personne qui tient à peine sur un pied.
Heureusement, nous avons une porte de sortie. En marchant 4 kilomètres sur un terrain relativement plat, nous pouvons sortir du parc National dans lequel nous sommes actuellement. À partir de cette sortie, un taxi navette fait des allers-retours vers le village le plus proche. Nous pourrons ensuite se livrer à une partie de stop afin de tenter de rallier Viehla, une ville espagnole sur le parcours de la HRP. Cela permettrait à Alex d’avoir accès a du meilleur matériel médical, de se ravitailler et de se reposer, tout en sautant seulement une vingtaine de kilomètres du sentier régulier.

Comme je suis exténuée, cela me fera du bien de pouvoir me reposer un bon deux jours dans une ville avant de repartir. J’espère de tout cœur qu’Alex sera en mesure de reprendre après ce repos. On se remet donc en marche, et nous parcourons le petit quatre kilomètres tranquillement. Après avoir pris la navette, la vraie partie commence: Vielha n’est pas à portée de main (ou de marche). Il n’y a pas d’autobus qui se rendent là-bas, et c’est une ride de voiture de 2h00. Allez la chance, continue de m’accompagner.
Une première voiture nous prend, et nous avance jusqu’à un village un peu plus gros que celui dans lequel nous nous trouvons. Bon, on a bougé de quelques kilomètres seulement, mais il faut bien commencer quelque part !
Je me remets sur le bord de la route, je lève mon pouce. La première voiture arrive, elle ralentit et finalement continue sans s’arrêter. On as-tu l’air en si mauvais état que ça (ceci est un placement de bonne vieille syntaxe québécoise)?? Et c’est là que la magie opère. On voit la même voiture revenir en sens inverse et s’arrêter à notre hauteur. Le conducteur me demande où l’on va et je réponds Viehla. Il me regarde tout sourire et m’indique que c’est exactement là qu’il se rend avec sa femme. Elle est trop chanceuse cette Charlotte comme le dirait Hugo;)
Très heureux, on embarque avec ce sympathique couple. Ils nous déposent deux heures plus tard, dans la magnifique ville de Viehla. Tant qu’à être bloqué ici, on en profite pour manger dans des restaurants, commander le buffet à l’hôtel et se reposer.


Une grande interrogation demeure. Est-ce que dans deux jours, la cheville d’Alex sera assez guérie pour pouvoir repartir? On se croise les doigts.
La suite, dans le prochain épisode (ajout de suspense, même si vous vous doutez probablement de la réponse et que je cumule deux mois de retard dans mon écriture).