Jour 2 : franchir la fenêtre d’Arpette
En 2023, lors de mon Tour du Mont Blanc, j’entendais continuellement des randonneurs parler d’un fameux col: la Fenêtre d’Arpette. C’était apparemment une variante incontournable sur le TMB, à condition d’avoir une bonne fenêtre météo (d’où peut-être son nom). Il s’agissait d’une montée assez raide et escarpée, avec un enchaînement de pierriers en dernière partie d’ascension. À l’époque, la journée s’annonçant bien pluvieuse, j’avais décidé de passer mon tour et de prendre le chemin régulier. Ce n’est pas un endroit à prendre à la légère: plusieurs personnes y ont déjà perdu la vie, en glissant sur les falaises. Encore hier, un randonneur nous racontait son sauvetage par hélicoptère après s’être aventuré au mauvais endroit sur le col.
Aujourd’hui, c’est différent. Les conditions s’annoncent très bonnes ce matin, jusqu’en début d’après-midi. Erik et moi décidons donc de nous aventurer dans ce sentier, en partant très tôt, à 6h00. Le réveil aux aurores est difficile (je suis un oiseau de nuit), mais la récompense de marcher aux premières lueurs est grande. D’autant plus que les premiers kilomètres ce matin se font sur un sentier plat et sans aucun obstacles.

Après quelques kilomètres, nous apercevons l’imposant glacier du Trient, qui nous accompagnera pour l’intégralité de la montée. Qui n’est ma foi, pas de tout repos! J’ai beau avoir marché 3000 kilomètres l’été dernier, on dirait presque je repars de zéro. Ça sent les courbatures pour demain ça !

La montée est soutenue et demande parfois l’utilisation des mains pour certains passages, mais somme toute, moins difficile que ce que je pensais. Heureusement, le soleil ne frappe pas encore le flanc de la montagne où nous sommes, ce qui rend l’ascension beaucoup plus supportable.
À la moitié de la montée, nous apercevons une petite cabane, propriété de Pascal, un retraité qui a soif de solitude et de montagnes. 3 mois par année, il vit coupé de la société dans un minuscule cubicule, profitant des vues sur le glacier et de l’air frais des montagnes.

Après quelques heures de montée et de beaucoup de sueur perdue, nous arrivons finalement à la Fenêtre d’Arpette. Nous rencontrons un autre canadien, Tyssen, ainsi qu’un couple de québécois. Fait cocasse, depuis le début de l’aventure, la majorité des gens que nous croisons sont d’origine canadienne. Il faut croire que nous les aimons bien ces Alpes !


Après une petite pause au sommet, nous amorçons notre descente, en compagnie de Pascale et d’Hugo, un couple québécois. La descente est constituée de grands amas de pierriers, et met a l’épreuve nos genoux et équilibre.
Alors que je salue un couple de randonneurs plus âgés, ceux-ci s’exclament chaleureusement: » ahhh, mais vous êtes des québécois! » Démasquée dès mon premier bonjour. Le duo se révèle être en amour avec le Québec et sa population. Rapidement Pascale et Hugo nous rejoignent au grand bonheur de ces deux suisses. Ils nous offrent une dégustation de vin fait maison, du gruyère et du saucisson. Ils nous parlent du livre sur les plantes et fleurs de la flore locale, qu’ils sont actuellement en train d’étudier.

J’ai tellement un grand respect pour ces personnes, qui, du haut de leur 80 ans, continuent à faire de la randonnée (et pas de niveau facile en plus!) Si je peux être comme eux plus tard, ce serait génial!
Après plusieurs heures de descente, nous arrivons au refuge de la Fenêtre d’Arpette, endroit où nous sommes accueillis par une troupe de musiciens traditionnels de la Suisse. Loin de moi l’envie de rire, mais je trouve que ces instruments ressemblent à de grandes pipes format géant.

Nous posons nos tentes à un camping proche du lac Champex (apparement, on ne prononce pas le x). Preuve que nous sommes bien en Suisse, nous devons payer 23 francs suisses par personne, et nous trouvons un sac de croustilles format miniature vendu à 10 francs suisses…

Jour 3: transition
Aujourd’hui, la matinée s’annonce plus banale que les autres, en raison d’une bonne portion de sentier sur le plat, longeant des routes. Un sentier ne peut pas être magnifique en permanence, et les tronçons ennuyeux nous permettent de mieux se délecter des paysages hors du commun. Nous entamons donc la section de Champex à le Châble, sous une fine pluie qui s’estompe rapidement, laissant place à un soleil brûlant. Il y a eu d’importants orages hier soir, et disons que j’étais bien contente d’être dans un camping officiel. Pour l’instant, la météo est beaucoup plus clémente qu’annoncée. Il pleut durant la nuit, il fait beau durant le jour. Beaucoup mieux que l’inverse! Seul désavantage, ma tente, gorgée d’eau doit peser au moins un kg de plus.

La première partie du sentier nous fait longer en surplomb une belle vallée verdoyante. C’est une marche agréable.

Bien rapidement, nous arrivons à une section de plat sur la route. C’est souvent sur ce type de terrain que mes pieds souffrent le plus. Il n’y a aucune variation de pas, et par monotonie du mouvement, les arches plantaires deviennent douloureuses rapidement.

Arrivée à le Châble, à seulement 12h30, nous ressentons l’envie de manger au restaurant. C’est drôle, j’ai supporté de manger des pâtes tous les jours pendant 5 mois sur l’Hexatrek, et maintenant, ça ne fait que trois jours sur le sentier, et j’ai déjà envie de manger autre chose.
Tyssen, Erik et moi, nous offrons un bon repas de côtes de porc, de patates et d’haricots. Le gérant du restaurant est très amical. Il nous offre des conseils sur des endroits où bivouaquer, et appelle même son ami guide pour vérifier la légalité de notre emplacement prévu (en Suisse, le bivouac est régi par des lois des strictes). Il nous mentionne qu’il est toléré de bivouaquer à proximité de la Cabane du Mont Fort.
Afin d’éviter une énorme montée sous les téléphériques sans intérêt vers la station de ski les Ruinettes, nous décidons de prendre un téléphérique. C’est la première fois qu’Erik tente cette expérience, il faut bien en profiter! Nous n’avons que 10 jours pour parcourir ce sentier, et je sais d’avance qu’il faudra couper quelques tronçons. Je veux que cette première aventure, soit mémorable pour mon copain, et je ne veux pas qu’il ait le sentiment d’être pressé à accumuler des kilomètres. Je n’ai donc aucun regret de sauter quelques morceaux moins intéressants (désolé les puristes!)

La dernière partie de la journée est magnifique avec une vue sur la Cabane du Mont Fort ainsi que sur une multitude de sommets à plus de 4000 mètres. Nous nous arrêtons à proximité d’un alpage, où nous demandons l’autorisation pour y poser la tente dans le périmètre.
Comprenant ma peur des orages, et avec le ciel qui s’assombrit à vue d’oeil, ils sont hyper gentils et nous permettent de bivouaquer à proximité et de nous réfugier dans leur grange au besoin.
Finalement, seuls quelques tonnerres se font entendre, et le ciel se détend.
Demain, une grande journée nous attend! Nous devrons grimper trois cols à plus de 2900 mètres d’altitude!

Jour 4: trois fois passera
Aujourd’hui, au programme : le Col Termin par le sentier des Chamoix, le col de la Louvie, puis le Col de Prafleuri. C’est une journée chargée, que mon guide papier décrit comme étant magnifique et spectaculaire.
Cependant, ce dernier omet de préciser que le sentier des Chamoix est en fait un sentier alpin côté aérien et exposé…
Nous commençons donc notre journée très tôt le matin (règles du bivouac l’exigent) et nous faisons une première pause à la Cabane du Mont Fort afin de se désaltérer avec un bon café (ne pensons pas trop aux prix, les amis). On s’engage finalement sur le fameux sentier des Chamoix qui est marqué de peinture bleu (contrairement à a couleur rouge usuelle). On se dit que c’est peut-être un sentier également ouvert aux vélos de montagnes.
Après une trentaine de minutes, on se rend compte que ce n’est pas du tout un sentier prévu pour le VTT, mais plutôt un sentier alpiniste. On tombe sur une petite pancarte mentionnant qu’à partir de ce point, il y a un risque de chutes de pierres, de l’équipement d’alpinisme est requis. Pendant un instant, je crois m’être trompée de chemin. Jamais le livre que j’ai acheté ne m’a mentionné passer par des sentiers dangereux. Pourtant, après vérification, il n’y a pas d’erreurs: c’est bien par ici. Comme nous voyons plusieurs randonneurs s’engager dans le sentier, nous nous disons que peut être que ce panneau est placé en raison de la grande quantité de touristes et afin d’éviter que des débutants passent par là.
Le sentier n’est pas tellement technique, mais il est très exposé et étroit. Une chute pourrait s’avérer mortelle. Si cela n’avait pas été aussi vertigineux, cette marche se serait faite les deux doigts dans le nez.
Je me retourne vers Erik qui est blême. Je lui demande si tout va bien, il me répond que oui, mais je sens que ce n’est pas vrai. Je lui demande s’il veut continuer sur le sentier, il réfléchit et me dit oui.
On continue quelques minutes et je le vois s’asseoir, les jambes tremblantes, le visage comme un fantôme. Cette fois, c’est moi qui prend la décision. On va faire demi-tour et prendre un autre chemin. Erik m’avoue son vertige. Il a peur de glisser. Repousser ses limites, c’est n’est pas toujours sain. Parfois, le courage, le vrai, c’est de savoir quand faire demi-tour. Foncer à tête baissée sans reconnaître les dangers, c’est de l’égo à vouloir prouver qu’on est capable d’atteindre quelque chose. Je suis donc fière de lui de s’être confié, ce n’est pas facile.

On fait donc demi-tour, et on revient vers la Cabane du Mont Fort. C’est décidé, nous passerons par une alternative, le Col de la Chaux. Erik se sent beaucoup mieux et moi aussi. À vrai dire, moi non plus je n’avais pas envie de risquer ma vie dans ce chemin. On part donc sur une longue montée en zigzag, vers le début de l’ascension du col de la chaud. C’est exigeant, mais facile techniquement… Jusqu’à ce qu’on arrive à une birfucation et qu’apparaissent encore une fois les foutus peintures bleues. Un autre chemin alpin, vraiment ?? Cette fois, ce n’est pas l’exposition qui est dangereuse, mais la raideur et le peu de balises présentes. Erik est cette fois davantage dans son élément, et c’est moi qui est un peu plus stressée. Mais bon, un pas à la fois.

Heureusement, à mesure qu’on avance, la montée paraît un peu moins raide, et pas pas, nous arrivions au sommet. De l’autre côté, c’est un désert sauvage de pierriers. On se sent complètement seul au monde. La descente est effrayante pour moi, mais heureusement, très courte. Les estimations de temps en Suisse sont, hum comment dire, optimistes ? Les suisses ont les côtes et les montagnes dans les gênes, dès leur plus jeunes âgés. Ce sont des isards tellement ils évoluent vites dans les sentiers. Pour vous donner une idée, l’indication que nous voyons au sommet du Col de la Chaud, nous indique 1h05 de marche avant d’atteindre le Col de Louvie. Et bien, ça doit bien nous en prendre presque 3. Oups.

Après une pause dîner, nous franchissons le Col de Louvie. Plus qu’un col, ce n’est pas une journée facile. Heureusement, le soleil est avec nous et nous sommes éblouis par la dureté et l’immensité du paysage qui s’offre à nous.





À l’aide de nos électrolytes à la caféine et de multiples poignées de bonbons, nous parvenons sur le Col de Prafleuri. Plus qu’une longue descente à faire jusqu’au refuge de Prafleuri.

Dans la descente du col, on finit par atteindre une drôle de station scientifique avec quelques instruments de mesure. J’ai l’impression d’être dans le film Interstellaire, à la recherche d’une nouvelle planète habitable.
La gardienne de la Cabane de Prafleuri est extrêmement sympathique. Le refuge principal est au coût de 32 CHF par nuit (sans nourriture évidemment), mais elle nous propose de passer la nuit dans l’ancien dortoir pour le coût de 10 CHF. L’ancien dortoir est très confortable, avec des matelas et des couvertures. Il n’y pas de lumière, mais c’est le dernier de nos soucis.

Après un bon souper, nous éteignons les lumières (façon de parler, comme je vous ai dit, il n’y en a pas) à l’heure tardive de 20h30. Ça fait longtemps que je ne me suis pas couchée aussi tôt! Demain, une autre grande journée nous attend: la montée du Col de Riedmatten!