Jour 93: une trail Angel exceptionnelle
En me réveillant le matin à l’auberge de jeunesse, je tente de planifier mon entrée dans le Vercors, mais les prévisions météorologiques rendent cette organisation assez compliquée. Le problème réside dans le fait que la deuxième journée dans le Vercors est assez exposée aux intempéries, avec de nombreux passages sur des crêtes et sommets. Cela peut devenir extrêmement dangereux en cas d’orages (qui sont annoncés lors de la deuxième journée). Je pourrais marcher une première journée, puis enchaîner sur une journée de repos dans une cabane non gardée, mais il y a une autre embûche: il y a très peu, voire pas du tout d’eau accessible durant les trois prochaines journées. Il faudrait donc que je traîne sur moi 4 journées d’eau (en comptant l’hypothétique journée de repos) ce qui représenterait environ 8 à 10 litres (pour les non connaisseurs cela équivaut à un ajout de 8 à 10 kilogrammes). Cette option n’est donc pas plus viable.
J’en arrive à la conclusion qu’il va falloir attendre au moins 2/3 jours, le temps qu’une fenêtre météo favorable apparaisse. Comme je n’ai pas vraiment le budget pour me payer trois nuits consécutives dans une auberge de jeunesse à 35 euros la nuit, je regarde si à tout hasard, il n’y aurait pas une trail Angel à Grenoble.
Et là, belle surprise ! Il y en a une qui offre hébergement et douche chaude aux randonneurs ! Très emballée, je lui écris immédiatement sans trop d’attentes, et elle me répond dans la minute même! Elle me dit qu’elle peut m’accueillir dès maintenant et me donne son adresse. Trop heureuse, je prépare mes bagages et je me rends à son appartement.
Elle m’accueille avec un grand sourire et une immense générosité, en m’offrant de rester plusieurs nuits si j’en ressens le besoin. Je lui suis énormément reconnaissante ! Cela me laissera du temps afin de préparer les prochaines journées. Le premier soir, elle me fait visiter Grenoble et nous allons chercher un petit plat à manger que nous dégustons dans son magnifique appartement.
Hugo m’a également écrit en après-midi pour me dire qu’il a reçu un massage sportif incroyable. Ouf, c’est tellement tentant et mes muscles sont bien dûs pour un petit massage. Je me réserve une séance pour le lendemain.
Jour 94: journée massage !
Aujourd’hui au programme : mon massage! Le massothérapeute du nom d’Olivier m’accueille dans sa salle de thérapie et pour les deux prochaines heures m’aide à éliminer toutes les tensions et courbatures dans mes pauvres mollets et quadriceps. Honnêtement, je vous le recommande fortement ! C’est un passionné de son métier, extrêmement compétent et à l’écoute de ses patients. Allez, je vous laisse sa carte si vous passez par Grenoble !
Puisque je ne peux pas reprendre le sentier avant après demain, j’en profite pour me relaxer, mais également pour faire des achats de nouveaux souliers et d’un câble USB (ça fait deux fois qu’il se brise, cette fois j’en prend un haute gamme contre les conditions extrêmes qui est garanti à vie et s’il se rebrise à nouveau je vais péter un câble ;)). Je trouve ma marque de souliers en ligne avec un rabais de 40% ! Oulaaa, petite musique à mes oreilles ce prix. Je voulais attendre le début de l’étape 5 pour les acheter, mais tant pis, je vais le faire maintenant. Je les commande et met l’adresse de l’appartement de Katia. Je paye un petit excédent de 4 euros afin de les recevoir le lendemain car je repars dans deux jours. Parfait, confirmé, le livreur passera demain matin entre 9h00 et 11h00.
Jour 95: un drôle de service de poste
Le lendemain matin, je me réveille avant 9 heures afin de ne pas manquer l’arrivée de mon colis. Les heures passent, il est rendu 12h00, et toujours rien. Je vais sur le site de la poste afin de voir la progression de mon colis, et je remarque que le chauffeur est passé, mais comme il n’avait pas le code d’accès d’appartement, il est reparti. Merde… Ça ne lui tentait pas de m’appeler ?? Il avait mon numéro pourtant… J’appelle UPS pour leur expliquer la situation et ils me disent que je ne pourrai pas recevoir mon colis avant demain après-midi. Euhhh, non madame, ça ne fonctionne pas, moi je dois repartir demain matin pour le Vercors ! Après de nombreuses négociations, la réceptionniste me dit que je pourrai aller chercher le colis directement au centre en fin d’après-midi. Je regarde en ligne et je constate que le centre n’est qu’à environ 30 minutes de bus. Ouf tout est beau !
Demain, je quitterai Grenoble, pour reprendre la randonnée à Corrençon en Vercors. Il y aura de la pluie durant cette première journée, mais le temps se dégagera pour les journées sur les crêtes. Je vais donc acheter ma nourriture pour les trois prochains jours ainsi qu’une bouteille d’eau supplémentaire de 1.5 litres afin d’avoir un total de 4 litres d’eau sur moi.
Je repars ensuite en fin d’après-midi chercher mon colis et j’obtiens finalement mes magnifiques nouvelles paires de Trabuco 12.
Puisque c’est la dernière soirée avec Katia, je lui prépare deux salades estivales afin de la remercier pour toute cette incroyable hospitalité. On passe notre dernière soirée à discuter du féminisme , des conditions très difficiles de situations de sexisme et de harcèlement que les femmes subissent encore dans leur milieu universitaire ou de travail en France, ainsi que de randonnée (Katia a fait la Pacific Crest Trail l’année passée !) Katia, si tu lis cet article, encore une fois merci immensément pour ta grande générosité et ta gentillesse!
Jour 96: vertiges
Cette fois ça y est ! Aujourd’hui, je peux enfin reprendre le sentier. Je suis vraiment excitée à l’idée de découvrir ce fameux Vercors dont j’ai tant entendu parler et qui est même l’emblème du logo de l’Hexatrek! Je reprends la trail à Corrençon-sur-Vercors (gracieuseté de l’aimable chauffeur de bus qui a dévié son itinéraire pour venir me porter jusqu’au sentier).
Au dernier refuge avant l’entrée dans le Vercors, je m’hydrate au maximum et je remplis mes 4 litres d’eau. Ouf, c’est vraiment lourd tout ça. Aujourd’hui, la journée étant assez pluvieuse et brumeuse, et étant parti en milieu de journée, j’ai comme objectif de marcher un petit 15 kilomètres afin d’être bien positionnée pour entamer la série de crêtes le lendemain.
Dès les premiers kilomètres, j’ai un bon mal de tête qui apparaît. Je ne m’en soucis pas trop, je prends un parmacetol et je continue. La forêt dans laquelle j’évolue me fait un peu penser au Québec. Comparativement à Belledonne, ce sentier c’est de la rigolade. Pas de pierriers, seulement un bon chemin roulant où je peux regarder le paysage en marchant.
J’atteins un premier refuge non gardé assez vite, et j’y fais une bonne pause afin de manger un peu et m’hydrater. Je repars vers environ 16h00, avec seulement un 8 kilomètres restant à la journée.
Quelques kilomètres après, j’entre sur les hauts plateaux du Vercors. Je remarque une cabane de berger dans une grande vallée ouverte. La personne semble jouir d’un magnifique emplacement !
Je traverse la vallée, puis je commence à m’enfoncer dans les bois. Depuis plusieurs heures, les seules personnes que j’ai croisées sont un couple qui marchait en sens inverse. C’est une des premières fois sur le sentier où je me sens aussi isolée. Je suis entrain de marcher paisiblement quand je commence à entendre des sons de cloche. Oh, un troupeau de moutons doit approcher ! Je scrute les environs quand j’entends des patous aboyer. Je fais ce que j’ai appris, je me mets sur le côté afin de laisser de l’espace au troupeau, et je dépose ma casquette devant moi afin que le patou puisse venir sentir mon odeur. Ça doit être un patou peureux car quand je place mon couvre-chef sur le sol, ce dernier a peur et s’enfuit en courant en fonçant dans le tas de pauvres brebis. Un autre patou ne tarde pas à venir me joindre, et au lieu de me faire peur, il vient se faire caresser.
Le troupeau est immense et ne bouge pas depuis plusieurs minutes. Ça risque d’être long, impossible de les contourner. Après un bon dix minutes d’attente, une bergère apparaît. On se parle un peu, elle me dit que son troupeau comporte plus de 1000 brebis ! Elle me confirme également que c’est elle qui vit dans la maison de berger que j’avais aperçu une vingtaine de minutes auparavant. Après quelques minutes de discussion, on se dit au revoir, puis je continue mon chemin.
C’est peu de temps après que tout se complique. Ça ne fait même pas dix minutes que j’ai repris le sentier quand d’un coup tout se met à tanguer, je manque de m’évanouir, et je me rattrape de justesse avant de tomber au sol. Wow, qu’est-ce qui vient de se passer? Ma cage thoracique se compresse et j’éprouve de grands symptômes d’anxiété, sans pourtant me sentir stresser. Ce n’est pas le vertige en soi qui m’inquiète, c’est davantage la combinaison de tous ces symptômes additionnés à la migraine que j’ai eu plus tôt.
Sans trop penser, je me remets à marcher vers mon objectif de la journée, avant de m’arrêter une dizaine de minutes plus tard. Je réalise le risque stupide que je suis en train de prendre. Les sentiers sont déserts, je m’enfonce de plus en plus dans la forêt, je n’ai pas de réseau cellulaire, et bien que j’ai avec moi ma balise satellite de sécurité, elle ne me servira pas à grand-chose si je perds conscience. Parfois, il faut se rappeler que la sécurité doit être mise en priorité par rapport au sentier.
Ma meilleure chance réside en la bergère que j’ai croisée une vingtaine de minutes auparavant. Il est beaucoup plus sécuritaire pour moi de revenir vers elle, afin de ne pas rester seule pour les prochaines heures.
Avec le cœur gros, je fais donc demi-tour, et une vingtaine de minutes plus tard, j’entends les cloches accrochées au cou des brebis. Je soupire de soulagement. Je fais une signe de mains à la bergère qui s’approche de moi. En lui expliquant la situation, elle m’invite avec grande générosité à rester chez elle pour la nuit, et elle prend même mon sac-à-dos sur ses épaules afin de m’aider ! Nous retournons vers sa cabane en suivant les brebis qui s’arrêtent toutes les minutes pour brouter un peu d’herbes. Le métier de berger dans le Vercors peut être très stressant car plusieurs meutes de loups tentent régulièrement des attaques sur les troupeaux. Clara me raconte que depuis le début de la saison, elle n’a pas encore perdu une seule brebis. Pourtant, un loup s’est déjà approché à moins de 10 mètres d’elle! Afin de protéger le troupeau, trois patous marchent avec Clara, ainsi que deux Border Collie qui ont pour fonction de rassembler en un seul groupe tout le troupeau. 5 chèvres font également partie de cette joyeuse compagnie, mais étant très fières, elles rejettent allègement l’autorité des patous.
Pendant que Clara s’occupe du troupeau, je rentre à l’intérieur me reposer, je suis épuisée et frigorifiée. Les brebis, d’une nature très curieuse, ne tardent pas à s’agglutiner devant la fenêtre pour venir observer l’étrangère dans leur domaine.
Le soir, Clara et moi partageons un repas ensemble, et j’en apprends plus sur le métier de berger. On passe une très belle soirée, puis je monte au deuxième étage me coucher.
Le soir, je réfléchis un peu à ce que je ferai les prochains jours. Mes parents arriveront à Carcassonne demain matin, donc je pourrais prendre un train pour aller les rejoindre, dès le 8 septembre.
J’ai fait une croix sur la possibilité de continuer à marcher seule dans le Vercors. En partant en solitaire en randonnée, on prend un certain niveau de risque, mais qui reste contrôlé. J’ai toujours avec moi une balise de sécurité en cas de problème ce qui réduit davantage les risques. Cependant, le malaise que j’ai fait hier, ajoute un niveau de risque que je ne suis pas prête à prendre en regard du ratio bénéfices/dangers. Je suis une fanatique de la randonnée, de la vie en nature, mais parfois il faut prendre la décision de sortir du sentier quelques jours le temps d’évaluer la situation. Même si un paysage promet d’être magnifique, il y en aura d’autres que je rencontrerai sur mon chemin. Une vie par exemple, je n’en n’ai qu’une seule. Mon malaise est sûrement seulement dû à une grande fatigue, mais il ne faut pas jouer avec la chance. J’irai dans les prochains jours consulter un docteur pour vérifier que tout est en ordre.
Jour 97: une journée riche en humanité
Le lendemain matin, je remercie donc Clara de tout mon coeur, je prends son contact WhatsApp afin de lui envoyer un message lorsque je serai en sécurité en ville, et je reprends mon chemin très tranquillement.
En vue de ce qui m’est arrivé hier, je suis un peu nerveuse de marcher seule puisqu’il y a encore 8 kilomètres qui me séparent des premiers signes de civilisation. Heureusement, tout se passe bien, et je regagne Corrençon-sur-Vercors sous un magnifique soleil.
À Corrençon-sur-Vercors, je commence à faire du stop afin de retourner à Grenoble puisqu’il n’y a pas de bus qui dessert cet endroit.
Je me fais embarquer par une sympathique personne travaillant dans le milieu du plein air qui me dépose à Villars-De-Lans. La magie opère quelques instants plus tard.
Un sympathique monsieur du nom de Jean-Pierre me prend dans sa voiture. Il doit se rendre dans une clinique de Grenoble afin de passer quelques tests, et donc il m’offre de me déposer dans la ville. C’est parfait ! On sympathise, et je lui parle de ma grande aventure. Je lui parle de ma déception de ne pas avoir vu le Mont Aiguille qui est l’emblème de l’Hexatrek! C’est alors qu’il se retourne vers moi, et me propose de m’emmener en auto à ce mont. Je suis bouche bée : c’est un voyage en auto de presque une heure ! Sans parler du retour! Je lui dit que c’est super généreux, mais que je ne veux pas abuser de sa gentillesse. Il me répond que cela fait presque 20 ans qu’il n’a pas vu cet endroit et que ça lui ferait plaisir d’y retourner. Il me dit que les tests lui prendront une trentaine de minutes, que nous pourrons aller manger ensemble, puis prendre la route en direction du Mont Aiguille. C’est un plan! Mon après-midi se transforme en road trip innatendu.
J’attends Jean-Pierre dans un café, puis quand il revient, il m’offre même le lunch. Nous prenons la route ensemble. Je texte Hugo pour lui raconter cette folle histoire, et je lui indique que je m’en vais dans un village nommé Chichilianne. Et là coïncidence encore folle, Hugo me dit qu’il est à cet endroit pour l’après-midi. C’était quoi les chances!
S’entamme un mémorable road trip avec Jean-Pierre. Après une heure de route, le Mont Aiguille apparaît dans toute sa splendeur. Je suis tellement heureuse de pouvoir le contempler! C’est fou comme parfois une malchance se transforme en coup de chance. Dans le village, je vais dire coucou à Hugo qui m’invite pour le souper et la nuit chez lui avec sa mère. On convient de se rejoindre plus tard, et Jean-Pierre offre même d’aller me reconduire jusque là-bas!
En revenant à Grenoble, je remercie chaleureusement Jean-Pierre qui a transformé une journée de déception d’avoir dû annuler le Vercors à une journée qui restera un mémorable souvenir.
Le soir, je partage un super moment avec Hugo et sa mère. Demain, je prendrai le train jusqu’à Carcassonne (puisque j’ai déjà fait l’étape 4), et je rejoindrai mes parents que je n’ai pas vu depuis 3 mois!